Les origines de la langue chinoise
[...Si, en Chine, ce n'est pas l'écriture qui s'est adapté à la langue, mais la langue à l'écriture, c'est que celle-ci, avant d'être prise pour support d'une littérature, était demeurée des siècles durant un outil linguistique particulier, que le Chinois dénomme langue graphique (wenyan) - laquelle est inventée par les devins pour enregistrer sous forme d'équations divinatoires les données et les résultats des opérations de divination effectuées, suivant une procédure très sophistiquée de pyroscapulomancie (la pyro(feu) scrapulo (omoplate) mancie (divination) est une sorte de divination consistant à interpréter comme présage la configuration de craquelures provoquées par le feu sur des os plats) , sur des omoplates de bovidés ou des écailles de tortue.
Les plus anciens caractères chinois que nous connaissions sont, en effet, ceux qui apparaissent sur de telles pièces divinatoires, datant des trois derniers siècles de la dynastie des Shang (les derniers du deuxième millénaire avant notre ère), dont ils explicitent par des notations idéographiques le sens manticologique (la manticologie étant la science de la divination).

Ces notations rappellent bien sur les faits ou les actions escomptés sur lesquels les pouvoirs publics s'interrogeaient par divination. C'est pourquoi le même système de langue graphique n'a pas tardé à être extrapolé à la notation de faits et d'actes non plus supputés prévisionnellement, mais réellement advenus et retenus pour mémoire. Ainsi les devins spécialistes de la langue graphique sont-ils devenus les notaires des faits et gestes importants intervenant dans le cours des affaires de l'Etat. Le même nom chinois shi , qui signifie originellement devin, prend alors le sens de notaire, en attendant de prendre celui d'annaliste puis, plus tard, celui d'histoire.

Dans le fil de cette évolution, la langue graphique, employée à des applications de plus en plus complexes en épigraphie rituelle (dans des inscriptions commémoratives sur des vases de bronze liturgiques), en relevés de paroles et d'actes marquants du prince, en codifications administratives diverses, se perfectionne linguistiquement; elle devient un outil d'expression écrite remarquablement performant, relevant naturellement du même système linguistique que celui de la langue parlée par les scribes-devins qui le forgent, mais indépendant de cette langue parlée.

Telle est dans la Chine archaïque la matrice de la littérature, sans rien de pareil dans aucune autre civilisation, parce qu'aucune autre civilisation ne s'est développée de cette façon à partir de la culture de la divination - au lieu de celle de la religion.

Cependant, jusqu'à Confucius cette proto-littérature ne se construit que comme documentation administrative. Ses utilisateurs sont exclusivement les agents de l'Etat. Si les membres de l'aristocratie en apprennent le maniement, c'est au même titre que celui de l'arithmétique, du tir à l'arc, de la conduite des chars, de la danse et de la musique rituels, pour se familiariser avec les instruments régaliens du pouvoir dans la Chine archaïque.
Quand Confucius (551-479 avt J.-C.) intervient, ce corpus administratif est déjà considérable. Il constitue le socle scripturaire des institutions de la royauté régnante. Mais cette royauté est alors en perdition, minée par la montée de l'hégémonisme des grands Etats féodaux, et Confucius prend conscience d'être investi personnellement par le Ciel d'un mandat exceptionnel de restauration de l'ordre politico-social. Il se juge habilité par ce mandat à recodifier lui-même les sommes d'écrits administratifs qui sont les sources des institutions royales, en même temps qu'il en explique le sens à ses disciples. Tel est le point de départ de la compilation des canons (jing) du confucianisme, oeuvre capitale de Confucius, comptant infiniment plus que le petit catéchisme des Analectes résumant son enseignement oral...]

Extrait du bimestriel "Manière de voir" intitulé "Chine, état critique" et de l'article "Confucius, fondateur révolutionnaire de la culture" écrit par Léon VANDERMEERSCH, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études, correspondant de l'Institut.

http://alexlechti.over-blog.com/article-les-origines-de-la-langue-chinoise-110401298.html
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